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LE DIX AOÛT

par un collège électoral spécial composé d’un électeur par district. Cette régence élective ressemblait fort à la République, mais elle sauvegardait théoriquement la royauté. C’est pourquoi elle plut à un grand nombre de patriotes et particulièrement aux fédérés brestois.

Des patriotes plus impatients ou plus pénétrés des nécessités de la défense nationale empruntaient à l’antiquité grecque l’idée de remplacer le roi par un ou plusieurs dictateurs nommés pour la durée de la guerre. Dans un grand discours prononcé au moment même où l’Assemblée nationale discutait le danger de la patrie, le 5 juillet 1792, l’évêque constitutionnel Torné, après avoir dénoncé les trahisons du roi et montré que la Constitution ne fournissait aucune solution satisfaisante, poursuivit en ces termes : « Apprenons de l’antiquité à sauver les États dans les périls extrêmes par des mesures extrêmes qui s’écartaient temporairement de la Constitution pour la mieux sauver. Apprenons des anciens à créer des magistrats extraordinaires pour le temps seulement du danger de la chose publique : magistrats hors de la Constitution qui recevaient leur latitude de pouvoir et d’autorité aussi extraordinaire que les circonstances. La France eut ses connétables, Lacédémone ses éphores, Corinthe ses stratèges, Syracuse ses mégaclès, l’Angleterre son Protecteur, Rome ses dictateurs. » La droite furieuse interrompit l’évêque, le traita de parjure, de démagogue en délire, mais nul doute que cette colère même ne témoignât d’une crainte réelle.

Marat aurait souscrit à l’idée de la dictature s’il avait dû en profiter. Mais, pour l’instant, il est découragé, il ne croit plus l’insurrection possible, il se plaint de « la noire ingratitude du peuple, du lâche abandon des