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LE VETO

par la peur ou la cupidité, elle les écoutait, les utilisait et les trompait. Le double jeu qu’elle s’imposait pesait d’ailleurs à sa franchise. « Quelquefois, je ne m’entends pas moi-même, écrit-elle à son cher Fersen, le 7 décembre 1791, et je suis obligée de réfléchir pour voir si c’est bien moi qui parle, mais que voulez-vous ? Tout cela est nécessaire. » Ah ! comme elle se vengerait de ces humiliations : « Quel bonheur si je puis un jour redevenir assez… pour prouver à tous ces gueux que je n’étais pas leur dupe ! »

Les Feuillants, promptement démasqués par les Jacobins, commirent encore la faute de se diviser. Alors que les triumvirs, Barnave, Adrien Duport et Alexandre Lameth, tâchaient d’empêcher la guerre à la dernière heure par une entente secrète avec l’Empereur qui acheva de les compromettre, Lafayette, au contraire, qui n’était pas admis aux confidences de la Cour, poussait à la politique guerrière qui lui vaudrait pour lui et sa clientèle des commandements, de l’influence, une revanche à sa disgrâce.

Les Jacobins n’étaient pas plus unis que les Feuillants. Bien entendu ils crièrent d’une seule voix contre le veto, mais sur les solutions ils hésitèrent, ils tergiversèrent. L’invasion arriva qu’ils ne s’étaient pas encore mis d’accord.

Le veto opposé aux deux décrets sur les prêtres et sur les émigrés provoqua à Paris les protestations d’une dizaine de sections, quelques articles de presse, un court débat à l’Assemblée. Mais ce fut tout. Le député Delbrel, qui avait demandé la consultation du pays sur la légitimité du veto, ne fut pas suivi. Sa motion tomba dans le vide. Robespierre, qui s’était opposé à la réinté-