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LE DIX AOÛT

du château, vers les Tuileries, écrira-t-il à ses électeurs, une furieuse décharge de mousqueterie a ébloui nos yeux au bas de l’escalier. De suite une seconde, puis une canonnade abattit en partie la façade. Ma foi ! nous avons vu pour lors la mort devant nous. Nous avons cru user d’un expédient sûr en nous transportant de l’autre côté du Carrousel, en prenant de préférence la queue des canons plutôt que la gueule, mais, à peine sortis du Manège, une foule de sabres, de piques, baïonnettes a fondu avec une rage inexprimable de toutes parts sur nos braves gardes qui, dépités de notre opiniâtreté à ne pas reculer, mais à aller de l’avant, nous ont empoignés et reportés comme des hirondelles dans l’Assemblée nationale. » Quand le capitaine de Salis fit une sortie du côté du jardin, il y eut dans l’Assemblée un moment d’émotion. Un officier de la garde nationale, entrant avec précipitation dans la salle, cria : « Législateurs, à vos places, nous sommes forcés ! » Un peu plus tard, des coups de fusil furent tirés dans les croisées. C’était au moment de la retraite de Durler. Comme des députés se levaient pour sortir, leurs collègues les rappelèrent : « C’est ici que nous devons mourir ! » Les tribunes crièrent : « Voilà les Suisses ! Nous ne vous quittons pas, nous périssons avec vous ! » L’Assemblée se leva tout entière au cri de : Vive la liberté ! Vive la Nation !

On peut s’imaginer ce que devaient penser le roi et la reine, en assistant à ces scènes, de l’étroite loge du Logotachygraphe. Le bruit du canon, les décharges de mousqueterie, les sorties des Suisses, dont ils recevaient l’écho, ranimèrent-ils leur espoir que l’insurrection serait vaincue ? C’est probable, car Louis XVI attendit bien longtemps avant d’écrire le billet qu’il remit enfin