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LE DIX AOÛT

si leurs projets de prise d’armes sont ajournés, c’est sur lui seul qu’ils en font retomber la responsabilité. Leur état d’esprit se comprend. Santerre occupe une place immense au faubourg. Commandant du bataillon des Enfants-Trouvés, il tient en mains une partie de la force publique. Il a pris part avec ses ouvriers à la prise de la Bastille, il est secrétaire des Vainqueurs, il a démasqué Lafayette un des premiers, il lui a même intenté un procès en diffamation qui fit scandale, il a signé la pétition républicaine du Champ de Mars, ce qui lui a valu des poursuites, il a été un des organisateurs de la fête des Suisses de Châteauvieux. C’est un vétéran des luttes révolutionnaires. Il est environné d’un grand prestige. Puis Santerre exerce sur le monde ouvrier, qu’il s’agit précisément d’entraîner, une influence décisive. Grand patron brasseur, il est généreux et ne manque pas d’abreuver le peuple, quand il est nécessaire. Il a un frère, brasseur aussi, qui est resté dans la vieille brasserie familiale, sur la rive gauche au faubourg Saint-Marceau. Lui s’est établi au faubourg Antoine. Il a de solides attaches sur les deux rives du fleuve. Le commissaire de police Jurie est un de ses parents.

La section des Quinze-Vingts, qui s’assemble dans l’église des Enfants-Trouvés, est bien la section de Santerre. Elle est composée des hommes de son bataillon, commerçants, fabricants, artisans du quartier, Sans-Culottes aussi qu’il a déjà enrôlés dans ses rangs à diverses reprises bien avant le 10 août : lors de la fuite du roi, lors de la démolition du château de Vincennes, lors du 20 juin. Nulle part, à Paris, l’union n’est plus étroite entre la bourgeoisie travailleuse et le peuple qu’ « elle fait vivre », selon l’expression du temps. Le brasseur tient tout le