Page:Albert Le Roy - Le Gallicanisme au XVIIIe siècle 1700-1715, 1892.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
Genèse de la constitution

sa plume, il devient déclamatoire à force de tristesse. Combien ne fallait-il pas qu’il fût troublé, l’implacable railleur et l’arracheur de masques, pour écrire ces deux phrases : «Dieu montra à la France un prince qu’elle ne méritait pas… La terre n’en était pas digne, il était mûr déjà pour la bienheureuse éternité[1] ! » Enfin, si nous interrogeons celui à qui le duc de Bourgogne était le monde entier, quelle douleur et quel déchirement chez Fénelon, en recevant l'affreuse nouvelle ! « Il me semble, s’écrie-t-il, que tout ce que j’aime va mourir[2]». À quoi sert, dorénavant, à M. de Cambrai de s’être rattaché si âprement à la politique, au lieu de se confiner et de mourir au monde dans une retraite religieuse ? Quelque jour, l’avènement du duc de Bourgogne, élevé à l’école de Salente, devait amener la réparation des disgrâces imméritées, la revanche des humiliations dévorées loin de Versailles. Dès là que son prince n’est plus, que sera-t-il lui-même, prélat vieilli et délaissé ? Que deviendront son orgueil et son ambition, les chimères, les tendresses, les ran-

  1. Mémoires de Saint-Simon. VI, 250. — La jeunesse du duc de Bourgogne avait été terrible ; le même Saint-Simon, dans ses Additions au Journal de Dangeau (XIV, 91), nous le montre : «Dur et colère, impétueux avec fureur, incapable de souffrir la moindre résistance, même des heures et des éléments, sans entrer en des fougues à faire craindre que tout ne rompit dans son corps ; opiniâtre à l'excès et passionné pour toute espèce de volupté de femmes, et ce qui est rare ensemble avec un autre penchant : aimant le vin, la bonne chère, la chasse avec fureur, et la musique avec une sorte d’enlèvement, et le jeu encore, où il ne pouvait souffrir d’être vaincu et où le danger avec lui était extrême ; enfin, livré à toutes les passions et transporté de tous les plaisirs. Souvent farouche et porté à la cruauté, et surtout barbare en railleries et à produire les ridicules ; avec cela, de la hauteur des cieux et regardant les hommes, quels qu’ils fussent, comme des mouches et des atomes avec lesquels il n'avait aucune ressemblance ; à peine MM. ses frères lui paraissaient-ils intermédiaires entre lui et le genre humain».
  2. Le 27 février 1712, Fénelon écrit au duc de Chevreuse : «Hélas ! mon bon duc. Dieu nous a ôté toute notre espérance pour l’église et pour l’état… Je suis saisi d’horreur et malade de saisissement sans maladie». (Œuvres, VII, 373).