Page:Albalat - Le Mal d’écrire et le roman contemporain.djvu/247

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien l’âge des Mémoires : « Ma sœur Lucile avait deux ans de plus que moi[1]. » Amélie est donc bien Lucile. Les deux portraits sont frappants de ressemblance. Amélie lui parlait « des douceurs de la vie religieuse et lui disait qu’elle n’avait que lui qui la rattachât au monde ». Ce sont les préoccupations de Lucile qui « voulait s’ensevelir dans un cloître » et qui subit l’inexplicable mal d’Amélie : « Elle était comme moi, elle ne savait pas ce qu’elle avait... » Nous découvrons dans les Mémoires les mêmes transports que dans René, les mêmes soifs de félicité infinie, les mêmes dépravations imaginatives, la même démence de désir qui s’adresse à tout, faute d’oser réaliser ce que la raison condamne. De temps à autre éclatent des mots révélateurs : « L’image de ma mère et de ma sœur épaississait les voiles que la nature cherchait à soulever ; la tendresse filiale et fraternelle me trompait sur une tendresse moins désintéressée. » Chateaubriand ne nous dit pas si Lucile partageait les convoitises confuses qui composaient ce qu’il appelle les incantations de sa Sylphide. Lucile semble avoir éprouvé dans son malheur plus de souffrance que de révolte et en avoir été accablée plus que tentée. Acceptant avec résignation une fatalité de sentiments qu’elle épurait à force de piété rêveuse et de virginale innocence, l’isolement du vieux château de Combourg paraît l’avoir plus

  1. L’acte de naissance de Lucile, retrouvé par M. de Lescure, donne à la sœur de Chateaubriand quatre ans de plus.