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ficile de connaître jusqu’au fond ce cœur de jeune fille qui ne s’est guère trahi que par des plaintes. Autant le grand écrivain a laissé percer les détails lorsqu’il s’est abrité derrière l’irresponsabilité d’une fiction littéraire, autant, dans ses Mémoires, il se montre scrupuleux de ne pas soulever ce mystère de famille. C’est à peine s’il lui échappe ça et là quelques traits d’admiration profane pour la beauté de cette sœur chérie, à la façon indiscrète de Lamartine dans ses Confidences. Ah ! s’il eût osé parler, quelle déconcertante lumière Chateaubriand eût jetée sur cette pitoyable nature humaine dont les faiblesses sont si compliquées ! Essayons de comprendre le peu qu’il nous a dit. Il a été blessé ; la plaie a saigné : nous allons en suivre la trace non seulement dans René, mais dans les Mémoires et dans les Natchez, trois ouvrages qui à ce point de vue se commentent et se complètent.

On rencontre encore aujourd’hui des admirateurs fanatiques de Chateaubriand qui soutiennent que l’histoire d’Amélie est une pure invention d’artiste. Chateaubriand dit, en effet, dans une préface, qu’il a imaginé ce malheur pour exposer la nécessité des cloîtres et que René est un tableau d’imagination et une leçon de moralité religieuse, puisqu’il faisait partie du Génie du Christianisme et n’a été publié pour la première fois à part qu’en 1805. Remarquons cependant que l’idée d’écrire le Génie du Christianisme n’est venue à Chateaubriand qu’après son retour d’Amérique, pendant son sé-