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Amant, il a trahi celles qui l’ont aimé ; époux, il fit un mariage d’argent, et n’apprécia sa femme que le jour où il ne lui fut plus possible de la tromper. Il a demandé des éternités de tendresse pour n’en savourer que la volupté passagère ; il s’est contenté de boire les premières gouttes des coupes qu’on lui offrait, quitte à les briser ensuite dans ses mains, comme un enfant.

Voilà ce que l’on constate ; voilà ce qui est indéniable. Mais la cause, la raison de ces faiblesses, il me semble qu’on ne s’est pas encore donné la peine de la chercher. Ou il ne faut voir dans Chateaubriand qu’un Lovelace insensible à tout ce qui n’était pas matérialité charnelle, ou il faut se décider à trouver l’explication d’une conduite si médiocre. Pourquoi Chateaubriand a-t-il méconnu la passion dans sa vie, lui qui l’a si éloquemment traduite dans ses livres ? Par quelle contradiction a-t-il rejeté ce qu’il paraissait poursuivre, et a-t-il si peu senti ce qu’il décrivait si bien ? Peut-on avoir du génie sans avoir du cœur ; se donner dans la fiction pour se reprendre dans la réalité ; mettre tant d’enthousiasme dans ses personnages et manquer même de pitié pour des femmes comme madame de Custine et madame de Beaumont ? Il y a là un cas de moralité qui mérite d’être étudié de près. Nous savons ce qu’a été Chateaubriand écrivain ; nous connaissons ses procédés, sa filiation et sa descendance. Essayons aujourd’hui d’analyser l’homme après avoir analysé l’artiste, et de dégager