Page:Alanic - Le devoir du fils, 1921.pdf/9

Cette page a été validée par deux contributeurs.
7
LE DEVOIR DU FILS

d’autrui, Gilbert n’avait formulé ni une objection, ni un reproche, quand Mme Daunoy lui révéla ses intentions. Et la mère ne sentit pas le mérite de ce silence où palpitait une peine infinie.

Cette femme de quarante-six ans, restée trop jeune de visage et d’esprit, gardait l’égoïsme câlin d’une enfant gâtée. Comme tant de mères françaises, elle eût été une maman délicieuse d’indulgence pour un aimable mauvais sujet, capable d’élégantes folies et d’amusantes fugues, qui l’eût accompagnée dans le monde et escortée aux petits théâtres. Mais elle demeurait déconcertée devant ce grand garçon, studieux et pensif, qui préférait les bibliothèques aux salons, et prenait toutes choses sérieusement, avec un sens rigide du juste et de l’injuste.

Aussi sa décision fut vite prise, lorsque Prosper Lazareille, le brillant polémiste et critique dramatique, lui offrit son nom clinquant. Le marché convenait aux deux intéressés. Lazareille, bohème littéraire de grande allure, cherchait un refuge solide et confortable pour ses vieux jours, et la veuve de l’avocat s’enthousiasmait à l’espoir de mener enfin l’existence de son goût, et d’être admise parmi ce fameux Tout-Paris qui l’avait toujours fascinée.

La pensée de son fils, qui voyageait alors en Espagne, n’enraya pas cet emballement. Elle lui tint, néanmoins, en réserve pour son retour, un discours persuasif, qui se terminait par cette péroraison touchante :

— Une mère qui n’a qu’un garçon est une mère sans enfants… Il est dur de rester seule… L’offre d’une affection sérieuse est bien tentante !… Mais si ce projet te contrarie le moins du monde, tu n’as qu’à dire un mot, un seul !

Ce mot, naturellement, Gilbert ne le dit pas. Foudroyé devant le foyer détruit, les souvenirs profanés, il lui semblait perdre, une seconde fois, le père qui lui avait manqué trop tôt.

Comme pour racheter l’acte d’ingratitude, sa pensée, dès lors, se rejeta éperdument vers l’oublié. Le jeune homme érigeait, en son âme, un sanc-