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LE DEVOIR DU FILS

s’installait dans un compartiment où, par un heureux hasard, il demeurait seul. Une courte attente, au milieu du grouillement affolé des dernières secondes, des attardés courant sur les marchepieds, des portières claquantes… Puis, empanachée d’une trombe de fumée noire, la locomotive se mit en marche. Gilbert, pour la première fois depuis des semaines, ressentit une impression d’allégement.

Le train dépassa les bâtisses moroses, les amas de bicoques qui servent d’avant-postes à la capitale. L’azur du ciel printanier se dégagea du voile de brume et de fumée. Les fraîches verdures de mai ombragèrent les talus, fleuris de pâquerettes et de boutons d’or.

Gilbert, l’esprit tendu vers le terme de sa route, n’apercevait rien des choses proches, concentré dans le rêve qui lui montrait une maison longue et basse, aux volets verts, ouvrant, d’un côté, ses fenêtres sur la Loire lumineuse ; de l’autre, sur la vaste vallée. Douze ans auparavant, il avait suivi ce même chemin, vers la même contrée, sous la conduite de son père. Une grippe infectieuse, compliquée d’une croissance trop rapide, venait d’éprouver l’adolescent ; le docteur ordonnait trois mois de repos cérébral et de plein air, et Me Daunoy n’avait rien trouvé de mieux que de confier son fils à la sollicitude des vieilles tantes angevines.

Comme elles l’avaient gâté, dorloté, choyé, cet enfant de leur bien-aimé Maurice !… Elles étaient deux alors, Marthe et Marie, disait le curé. Et il y avait entre elles, en effet, la même dissemblance qu’entre les héroïnes de la parabole. Tante Clotilde, toujours affairée au verger ou à la basse-cour, trottant menu autour des placards ou des fourneaux, et tante Isabelle, enthousiaste et méditative, qui s’enflammait silencieusement, ses yeux noirs pleins d’étincelles, lorsque son jeune neveu lui lisait les Martyrs ou Ivanhoé.

Depuis, Clotilde était allée reposer dans le petit cimetière qu’on apercevait des fenêtres à volets verts. Et Isabelle restait seule entre une servante