Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE X

DU TRAGIQUE DANS LE ROMAN

L’horrible n’est point le tragique. Toutefois, dans le roman, ce n’est peut-être point par l’excès de l’horreur que l’on manque le tragique, car les descriptions sont bien loin d’approcher de la chose. Mais quand elles arriveraient à nous faire trembler, peut-être par l’évocation de quelque souvenir, il est clair que ce sentiment violent ramènerait la pensée aux malheurs réels, bien loin de nous attacher à la contemplation de l’œuvre. L’effet certain des moyens de terreur et de pitié, quand on les emploie sans précaution, est le désarroi et la déroute des pensées, enfin une méditation sans recul, comme dans les rêves ; de quoi les hommes se préservent par tous moyens, comme on sait. La même pudeur, qui retient l’acteur, le chanteur, le danseur, l’orateur, se retrouve donc naturellement dans l’œuvre écrite. De là cette manière sobre de raconter, remarquable dans les œuvres les plus émouvantes, et qui, au reste, ne fait qu’appliquer, dans les cas difficiles, la règle souveraine de la prose, qui est d’agir par le jugement et non par les mots. Disons donc que le tragique est toujours dans l’attente, et non dans la catastrophe.

Ce principe domine le roman aussi bien que le théâtre. L’irréparable, et la marche du temps, se font