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CHAPITRE VIII

DES PERSONNAGES

La fiction propre au roman est que le lecteur n’ignore rien des pensées du personnage, ni des sentiments qui les accompagnent. Mais on trouve toujours dans un roman un centre de perspective, autrement dit un sujet pensant principal, à l’égard duquel les autres personnages jouent le rôle d’objets. Et souvent, comme dans le Lys, c’est le principal personnage lui-même qui décrit et raconte. Même sans cet artifice, un roman suppose toujours quelque personnage auquel le lecteur s’identifie, réfléchissant, agissant, rêvant avec lui, sans mensonge possible. La vallée est toujours vue par Félix ; nous ne savons pas comment madame de Mortsauf la voit, et nous ignorons encore plus les perspectives, les projets et les rêveries du comte. Ainsi, à bien regarder, un roman n’est jamais un spectacle où tout serait objet agissant ou parlant ; c’est toujours le tableau d’une vie intérieure, j’entends individuelle, et telle que chacun ne connaît naturellement que la sienne. Et il n’y a rien de plus dans les événements que ce qu’il en connaît ou ce qu’on lui raconte. Les traits les plus cachés de madame de Rénal sont toujours de ceux que Julien a pu découvrir ; et pour M. de Rénal c’est encore bien plus visible. En cela consiste l’unité du roman, et les