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CHAPITRE VI

DU ROMAN

L’Histoire, et même la plus belle, manque de matière ; elle est toujours abstraite un peu. L’épique est solide et réel par ce mouvement qui dévore la pensée. L’histoire, comme on l’a dit, enchaîne autrement les actions ; mais elle part des actions toujours, et ne remonte aux causes, idées, sentiments ou passions, que d’après les discours et les écrits. C’est pourquoi les suppositions qui y sont permises sont toujours de ces maximes générales, qui vivent un moment par la grandeur de l’action et par la forme serrée et forte. L’histoire se trouve souvent vide de contenu parce qu’elle adopte les motifs d’action que chacun avoue, et qui contrastent avec l’étendue des conséquences et la puissance des obstacles ; ce genre de raisons, prises de l’intérêt général et d’une vanité imaginaire, n’ajoutent rien aux faits. Le vrai historien regarde au delà. Mais, par la loi de l’histoire, d’après laquelle il faut toujours remonter des actions aux causes et des discours aux motifs, il est condamné à se mouvoir dans un ordre abstrait, comme l’on fait lorsque l’on discerne l’intérêt ou l’ambition, enfin les passions de théâtre. Mais les passions réelles, plus puériles, plus fortes, mieux liées au mécanisme du corps, échappent