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CHAPITRE III

LA PROSE ET L’ÉLOQUENCE

Ce qui est propre à l’éloquence, c’est qu’elle pense sous la loi du temps. Considérons qu’ici un développement efface l’autre, puisque le discours est perçu par l’ouïe. C’est pourquoi il faut bien poser d’abord quelque principe admis par tous, ou l’établir une fois pour toutes, l’esprit étant conduit alors de conclusion en conclusion. Cette méthode, comme le remarquait Socrate, va contre le bon sens, car c’est souvent une conséquence qui nous invite à revenir au principe ; et l’esprit n’est pas ainsi fait qu’il puisse jamais jurer de s’en tenir à une preuve, au contraire la pensée travaille toujours dans un système, aucune partie ne pouvant être connue avant que les autres aient été toutes examinées ; bref il n’y a point un ordre de succession qui permette de parcourir un ensemble d’idées, car toutes doivent être pensées ensemble ; et tout l’art de penser est d’échapper au temps et de ne rien laisser à la mémoire. Contre quoi s’efforce l’orateur, qui veut toujours, avant de pousser plus avant, assurer ses conquêtes, et formuler une conclusion désormais invariable. Dans l’éloquence il y a donc chose jugée à chaque moment. Par l’usage des plaidoyers et des discours politiques, et de l’enseignement oral aussi, il s’est ainsi formé une méthode de