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CHAPITRE PREMIER

DES MOYENS PROPRES À LA PROSE

Il résulte assez clairement, de tout ce qui a été expliqué aux livres précédents, que chacun des arts, et surtout ceux dont l’objet n’est pas le corps même de l’artiste, bien loin de chercher quelque secours dans les arts voisins, s’en sépare au contraire, et trouve sa puissance dans des moyens et des fins qui lui sont propres. C’est ainsi que la sculpture ne cherche pas le secours de la couleur, mais va à la pensée, par la forme immobile seulement, et la peinture au sentiment par la couleur, et le dessin au mouvement par la ligne. D’après cela la prose, qui est l’art d’exprimer par l’écriture artificielle, doit chercher sa puissance en elle-même, et enfin rester prose, comme la sculpture reste sculpture, et la peinture, peinture. Il faut donc examiner la nature de ce langage écrit, maintenant en usage partout, où les caractères ne désignent que des sons, sans qu’on puisse apercevoir la moindre ressemblance entre la forme du signe et le son lui-même. Le plus frappant caractère de ce langage est qu’il exprime les objets par des formes qui ne ressemblent nullement aux objets. Le mieux est de prendre ces moyens hautement abstraits pour ce qu’ils sont, car il semble que tout art va d’autant mieux à sa fin qu’il reste mieux lui-même ; chacun