Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE VII

DE L’ANECDOTE

L’art du conteur est de faire vivre des personnages, de façon que celui qui lit croie les voir un court moment. Peut-être l’art du conteur est-il principalement de lier toutes ces apparitions de manière à en faire une espèce d’objet. Toujours est-il que chacune prise à part manque de corps. De là vient l’idée séduisante de représenter par l’art du dessin les scènes les plus importantes et de fixer les personnages. Mais, d’un autre côté, ces illustrations, comme on les appelle, manquent de mouvement ; j’entends que, comme elles restent, on les considère trop. Or, quand ce seraient des personnages vivants, je ne veux pas dire seulement des acteurs, mais des commerçants, des soldats, des ministres, ils n’instruiraient pas autant que le romancier lui-même. Encore peut-on concevoir une galerie de puissantes peintures où la Comédie Humaine trouverait ses personnages avec leurs raisons de vivre rassemblées ; mais je ne crois pas que l’art du romancier ait pour objet de nous faire imaginer des portraits de ce genre. Je crois plutôt que cet art nous satisfait autrement et par d’autres moyens. Ce qu’il faut dire ici c’est que, si la peinture peut égaler le roman, et ainsi l’illustrer comme il faut, le dessin ne le peut point. Passe encore pour les