Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE VI

DU SOUVENIR ET DE L’INVENTION

Beaucoup d’artistes sont capables de peindre et surtout de dessiner par mémoire, comme s’ils avaient le pouvoir d’évoquer leur modèle et de le tenir en place devant eux. Et il n’est pas besoin d’avoir une profonde expérience du dessin pour avoir remarqué que l’on saisit quelquefois mieux la ressemblance quand on travaille de souvenir. Mais je ne croirai pas plus celui qui dit voir à volonté son modèle absent comme s’il était présent, que je ne crois l’enfant qui s’enfuit en disant qu’il a vu le diable et ses cornes. C’est comme si l’on disait que l’on entend une musique imaginaire sans la chanter. Je n’entreprendrai pas de discuter là-dessus contre ces philosophes qui écrivent sur les souvenirs comme si c’étaient des images intérieures qui parfois, soit par les passions, soit par l’attention, prennent force d’objet. Je propose seulement, dans tout cet ouvrage et encore ici, une autre manière de rendre compte des œuvres et du prix des œuvres.

Chacun sait que pour retrouver un air de musique ou des vers, lorsqu’on l’on en tient le commencement, il n’y a pas de meilleur moyen que de se fier au mécanisme, en portant seulement l’attention sur les règles du rythme, qui nous sont d’avance connues ;