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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

dessin, ombré par des hachures, et qui mérite après dix ans d’être regardé. Le dessin pictural fait un tout autre usage des ombres. L’ombre n’est plus alors de modelé ; elle vient des autres objets ; elle enveloppe certaines parties et certains personnages ; elle est un moyen décomposer, non de dessiner. Mais le danger est ici de trop penser à la peinture et de chercher le sentiment plutôt que le mouvement. Par exemple le portrait dessiné est une erreur, s’il cherche autre chose qu’un mouvement du modèle. Il y a une ressemblance bien frappante qui est obtenue par la forme, par l’attitude, par l’attache, et le port de la tête, et dont le dessin doit se contenter. Toute tentative au delà donne une expression forcée et sans profondeur, comme un sourire ou une grimace. Ou bien alors toute expression succombe sous les traits ; car les signes du mouvement, s’ils ne s’ajoutent, se neutralisent. Cette remarque, que l’artiste trouvera souvent occasion d’appliquer, justifie des définitions un peu arides, car il faut cultiver chaque art selon ce qu’il est. Par exemple il vaudrait mieux dessiner un portrait d’après le peintre ; un bon dessin conservera alors quelque chose de la peinture, comme on voit par les bonnes gravures. Mais aussi on comprend, ce qui est d’expérience, que l’art du graveur ne conduit nullement à dessiner bien. Le graveur traduit le travail du peintre, mais ce même travail ne peut être fait d’après le modèle, si l’on ne dispose que du noir et du blanc. Par le pinceau et la couleur naît l’expression du sentiment, comme l’expression du mouvement par le crayon. Et en vérité le mouvement des deux artistes, si on l’observe, le dit assez. Par ce chemin je retrouve un sens plus profond de cette pensée de Balzac que j’ai déjà citée : « Le peintre ne doit méditer que le pinceau à la main. »