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CHAPITRE PREMIER

DU GESTE ET DE L’ÉCRITURE

L’écriture naturelle, c’est le geste fixé. La main armée d’une baguette marque un point sur le sable ou trace une limite, par le geste même qui les montre. Et l’action, qui est le premier geste, laisse aussi des traces, sur la terre, sur l’herbe vierge, dans le fourré. Les traces de l’ami et de l’ennemi, celles des fauves et du gibier, furent la première écriture. Lire, ce fut compléter, en allant de la griffe au lion. La réflexion devant ces signes fixés, et la recherche de leur sens d’après leur suite et leur ensemble, fut sans doute le premier effort d’esprit ; car, dès que les signes ne font que paraître et disparaître, l’imagination est sans discipline, au lieu que la perception du signe restant forme un centre d’attention, auquel les folles pensées sont constamment ramenées. De là vient que le plaisir de lire est sans mesure, même de lire ce que l’on sait : et c’est le premier remède à l’ennui, à toutes les passions, et généralement à ces faibles et incohérents essais qui sont le travail d’un esprit sans objet. Notre A ressemble encore à l’alpha des Grecs qui n’était que l’image simplifiée d’une tête de bœuf. Ainsi les hommes ont passé insensiblement des premiers signes, si émouvants, aux suites de lettres imprimées, traces humaines encore, et qui ont quel-