Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE IX

DU NU

Dans le Sartor Resartus, qui est une profonde philosophie du costume tempérée par le ton plaisant, Carlyle ose bien proposer la vue d’une assemblée, salon, académie ou tribunal d’hommes nus. Il y a lèse-majesté dans ces railleries sauvages, comme dans le mot de Shakespeare, qui en rassemble toute l’idée, sur le « mauvais radis fourchu ». Il suffit déjà des disgrâces de nature assez communes, des maladies, de la fatigue et des effets de l’âge, pour expliquer la pudeur. Mais la pudeur est fortement liée aussi à ces coutumes de politesse qui nous font cacher le plus possible les signes de nature, et atténuent ainsi la violence des sentiments immédiats. Nos pensées sont aisément détournées ; il suffit d’un cri et d’un petit mouvement de peur pour les mettre en déroute ; moins encore, une cravate oubliée déconcerte, ou bien, comme dit Pascal, un homme à moitié rasé. C’est pourquoi l’état de nudité produit toujours une espèce de délire dans lequel l’ardeur du plaisir ne domine pas d’abord ; l’exaltation orgiaque serait plutôt une réaction et comme un remède. Chacun sait que les artistes, dans leurs ateliers, apprennent bientôt, ainsi que leurs modèles, à dominer ces fortes impressions ; mais il n’est pas raisonnable de vouloir que les spec-