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CHAPITRE VII

DES SENTIMENTS

Il y a ambiguïté dans cette observation et imitation de la nature, qui serait la fin dernière du peintre. Rien n’empêcherait de reproduire, par dessin et couleur, le visage des mourants ou des suppliciés. L’extrême douleur, l’extrême horreur seraient les meilleurs modèles pour le peintre, s’il se proposait d’émouvoir par le réel effrayant ou rare. On pourrait peindre les fous aussi. Goya a dessiné de ces grimaces d’enfer, et la plus puissante de ses œuvres, en ce genre-là, est sans doute celle d’une femme menée au supplice sur un âne, avec cette inscription : « Sans espérance. » Mais la peinture, comme il a été dit, a mieux à chercher. Il est donc à propos d’expliquer sommairement comment les sentiments fleurissent, et à quelles conditions la nature humaine se montre le mieux sur un visage. Non point certes dans les catastrophes, où la nature mécanique règne seule ; non plus dans la maladie, la décrépitude ou le désespoir, où le mécanisme l’emporte encore ; mais plutôt dans l’équilibre de société, où la plante humaine se développe selon sa nature propre, non point en nœuds et blessures comme le chêne au vent, non plus en pensées comme le solitaire nu, mais plutôt entre deux, par ces senti-