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CHAPITRE II

DE LA COULEUR

La couleur est le seul moyen du vrai peintre. Il vise à faire un objet avec des enduits colorés seulement ; un objet, c’est-à-dire quelque chose qui ait sa place, sa grandeur, sa forme et sa nature propre, tout cela exprimé par ce qu’il y a de plus fugitif dans l’apparence peut-être. Cette magie suppose deux opérations ; il faut conquérir d’abord l’apparence, et ensuite la fixer. Conquérir l’apparence d’abord. Ici le langage et l’interprétation des signes colorés nous trompent beaucoup plus qu’on ne croit. D’abord nous choisissons une couleur dominante pour chaque chose, qui devient le signe de ses autres qualités ; nous disons qu’un abricot est d’abord vert, et qu’il est jaune quand il est mûr ; le lys et la rose expriment assez la couleur d’un visage jeune et sain ; les arbres sont verts ; le ciel est bleu. Si pourtant vous comparez deux bandes du ciel, à des hauteurs différentes, en interposant quelque objet neutre entre les deux, vous verrez deux couleurs bien différentes, bleu pur ici, bleu violacé là. Il est bien plus visible que la couleur du visage le plus frais se compose de jaunes et de roses fort variés, joints à des touches de bleu et même de vert. Encore ne tenez-vous pas compte du voile que l’atmosphère y met, dès que l’on regarde d’un peu