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CHAPITRE X

DES PENSÉES

Tout homme pense ses passions et ses actions, et se croit lui-même, tel est le premier mouvement. Cette inquiétude pensée gâte tous les visages humains ; mais ces signes passent si vite, ils sont si peu de chose à côté de ce que la coutume et la politesse ramènent toujours sur les traits, comme un manteau de décence, que peu d’observateurs les remarquent. Et l’homme qui veut deviner l’homme y perdrait son temps, car de tels signes font connaître bien plutôt les circonstances que le caractère. Si on fixait de ces expressions sur la toile, ou, pire encore, dans le marbre, ce ne serait qu’une énigme sans solution. Au reste ces arts, qui ne peuvent peindre le mouvement même, sont déjà mis en garde par cette condition contre l’imitation pure et simple. Mais la pensée de chaque homme, si nous la suivions, quelle suite de tableaux incohérents, d’impressions, de discours commencés, qui ne représentent ni les choses, ni lui ! Lui-même s’y laisse prendre, et rattache les fils de cette pauvre histoire, que l’oubli heureusement dévore aussitôt ; ainsi cette première pensée n’est que vide. J’ai observé sur un médaillon d’après un portrait photographique un pli sévère du sourcil que je ne connaissais pas ; mais ce n’était qu’un rayon de