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CHAPITRE IX

DU NU

Puisque le costume représente les devoirs d’obéissance, de politesse et de pudeur, sous leur forme coutumière, le nu est la négation de ces choses. Le nu est donc sacrilège ; et par là il représenterait assez bien la première audace de la pensée ; car, puisqu’il ne faut qu’un dieu, il faut toujours que la pensée soit sacrilège. Mais comme le nu annonce aussi les plus vifs de tous les plaisirs, le sacrilège tourne naturellement en ivresse mauvaise ; ce n’est donc qu’un autre esclavage. Et la honte qui suit toujours fait aimer le vêtement. Considérées d’après cela, les statues sans corps ou vêtues représentent assez bien des pensées qui ont peur de la nature, et qui veulent l’ignorer. Un tel ascétisme a fait naître des pensées sublimes ; car, toute la force du sentiment s’exprimant par le visage, la pensée est comme un don ou un rayonnement, et, par l’ignorance de l’injustice, veut la justice. Cette discipline est rare et surhumaine ; mais sans force, sans prise en ce monde ; séparée de la terre par le corps plutôt que jointe à la terre par le corps. Encore est-ce le privilège des saints. Pour l’ordinaire il y a de l’hypocrisie dans ces têtes pensantes, et ces beaux sentiments, qui y sont dessinés et on dirait presque peints, sont de poli-