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CHAPITRE IV

DES PASSIONS

Tout est changement dans les Passions ; aussi la force de l’expression est-elle toujours dans une suite de gestes. Encore faut-il remarquer que tout geste s’exaspère par lui-même, comme on voit dans la fureur ou dans le fou rire ; aussi le langage naturel des passions est par lui-même ambigu ; et les arts en mouvement, comme l’éloquence et la mimique théâtrale, doivent le modérer et composer. Mais la sculpture, la peinture et l’art du dessin sont condamnés à un seul geste, à un seul mouvement du visage ; il faut donc que toute une suite de mouvements s’y trouve rassemblée. Encore la peinture et le dessin peuvent-ils beaucoup par la disposition du spectateur, qui nécessairement interprète les lignes, les ombres et les couleurs. Mais la sculpture semble dépouillée de toute rhétorique ; elle offre la forme vraie et immobile, et la forme seule sans aucun mensonge. Aussi les plus habiles, parmi ceux qui n’ont point suivi les sévères traditions de cet art, savent-ils bien dessiner et même peindre avec des reliefs, ce que l’on reconnaît à ceci, qu’un bon dessin d’après leur statue est souvent plus éloquent que leur statue elle-même. L’art du sculpteur serait alors de dessiner des ombres sans crayon. C’est vouloir peindre par des sons ou danser en prose.