Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

CHAPITRE II

DE L’INVENTION DES FORMES

Nos rêves et même nos rêveries sont informes, si quelque objet ne les soutient ; mais presque toujours l’objet fournit trop ; les détails égarent l’attention ; l’impatience, la fatigue, l’espérance, la crainte, la colère brodent là-dessus ; ce n’est que naissance et mort. C’est pourquoi les étoiles, immuables et simples, offrent toujours au jugement humain le meilleur objet ; mais aussi la rêverie, qui s’en détourne et veut pourtant y penser, ne répond point du tout aux premières espérances. Le supplice des fous est de poursuivre quelque vérité sans objet ; c’est pourquoi les prudents s’attachent aux mots. Mais la pensée réelle fut d’abord interprétation des jeux de lumière dans les solides, sous le contrôle du toucher. Ce mouvement des mains, si naturel, qui explore les reliefs, fut l’école du naïf sculpteur. Par le même mouvement toute forme ambiguë pour les yeux fut assurée et confirmée. On goûte un plaisir qui ne s’use guère à retrouver quelque visage ou quelque animal dans le profil des montagnes ou des récifs. Comme les formes sont simples et les détails rares, cette recherche n’égare point ; le jugement rassemble ses forces et retrouve enfin ce qu’il cherche. Toutefois l’idée d’achever et comme de conquérir cette forme fuyante