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du rêve et de la rêverie

font que le jugement faux se donne enfin des preuves. Si je m’agite en rêve, voilà des pressions, des froissements, des chocs pour le toucher, bien réels. Et ma parole surtout, haute ou seulement murmurée, donne un objet réel à l’ouïe, et qui s’accorde avec la croyance. Ici nous créons l’objet, sans aucun doute, par mimique et déclamation, idée qui dominera notre immense sujet.

Dans la rêverie, il est clair que les mêmes causes agissent encore, d’autant que les sens trouvent souvent alors dans des objets confus l’occasion de visions fantastiques. C’est ainsi que la fumée, le nuage, le feu, comme aussi le vent et la source nourrissent la rêverie par une multitude de perceptions ambiguës. Bien mieux les perceptions vives, surtout de l’œil, laissent après elles leurs traces, images consécutives d’abord, images complémentaires ensuite, comme chacun l’a constaté pour le soleil couchant ; un soir je vis courir pendant longtemps sur les objets un disque mauve coupé d’un nuage blanc. Enfin le rêveur ne se prive ni de parler, haut ou bas, ni de mimer, en gestes plus ou moins marqués. Et surtout il arrive que les gestes dessinent une forme devant les yeux ; le crayon errant, qui fixera ces gestes, donnera à la rêverie comme un passé et une histoire. On aperçoit comment, mieux que le discours, le dessin et finalement l’écriture porteront nos rêves.