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LA FOLLE DU LOGIS

On essaiera de dire plus loin d’où viennent les images, et, autant qu’on en peut parler, ce qu’elles sont. Mais il est utile de considérer d’abord dans l’imagination ce qui est le plus évidemment réel, et qui porte tout le reste, à savoir d’un côté les réactions du corps, si tyranniquement senties, et d’un autre côté ce jugement trompeur, si fermement appuyé sur les émotions, et cherchant d’après cela les images et les attendant, souvent en vain.

En vue d’assurer le premier regard, et de le diriger où il faut, donnons-nous quelque exemple d’imagination où la perception fausse manque tout à fait. Il vous est arrivé sans doute de voir se rapprocher et presque se heurter deux lourdes voitures dans l’une desquelles vous étiez. Au moment où le choc était attendu, et quoiqu’il ne se soit pas produit, vous avez éprouvé en votre corps une révolution du sang et une convulsion intime des muscles, sensibles partout, mais plus sensibles dans la partie menacée, soit la jambe. Désordre vif, assez vif pour qu’un médecin posté là eût pu mesurer quelque saut brusque dans la pression sanguine en cette partie, quelque dépense musculaire aussi, quoique sans mouvement ; et si vous considérez des cas comme ceux-là, si ordinaires, la possibilité d’une lésion plus ou moins durable, douleur et trace à la fois, ne vous paraîtra pas invraisemblable. Or c’est là, selon la manière de parler commune, toujours exacte et souveraine, un effet d’imagination. Vous avez cru et vous avez réagi, sans aucune délibération et en automate. Or ici l’image de l’accident ne s’est point formée ; la marche des véhicules a été perçue exactement, sans aucun trouble de vision ; mais on peut bien dire aussi que le mouvement du sang et des muscles a dessiné dans votre corps une image encore faible mais très touchante de l’écrasement attendu.

Il suffit de cet exemple pour ramener à de justes proportions les éléments qui caractérisent ce qui est imaginaire ; j’entends que le mécanisme du corps y fait sentir sa puissance, qu’une émotion forte est