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CHAPITRE IX

LA FORCE COMIQUE

On peut se moquer de tout et rire de tout. Je dis d’un rire sain et libre, sans aigreur, sans tristesse, sans la moindre trace de méchanceté. Je veux considérer ici, afin de ne pas m’égarer, l’innocente et belle figure de Molière et cette prose sans grimaces. Une âme pure, si ce n’est celle d’un enfant ou d’une nonne, est une âme qui a surmonté le médiocre en elle ; car les passions nous tiennent tous, mais un jugement fort se secoue et s’échappe, laissant les passions accomplir leur cours mécanique. C’est ce qu’un esprit enchaîné n’ose point faire, cherchant toujours à couvrir la passion d’un vêtement de sagesse. Et les passions ainsi habillées, quand on les voit du dehors, ne peuvent être que bien ennuyeuses, si elles ne vont au tragique ; et c’est là qu’elles vont toujours dans le fait, quoique bien souvent on ne le voit point. Un homme mûr, qui est amoureux et qui sera trompé, est assez triste pour lui-même, et aussi pour un spectateur impartial et qui n’est pas féroce. Mais quand un jugement sévère refuse de suivre, et regarde aller la passion nue, cette machine parlante ne va pas loin. C’est ce que le passionné ne veut point croire tant qu’il n’essaie pas. En revanche dans ce court moment où la passion va à ses vraies fins et