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SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

dissout l’apparence et qui met les choses et les gens à leur juste place. Mais il y a dans le sourire quelque chose de voulu et de soutenu, une force mesurée, et une mort de l’apparence pour toujours ; aussi l’éclair de l’esprit est-il d’un instant. Au lieu que le comique grandit par le rire, et ne résulte point tant d’une découverte que l’on fait, qui ruine une belle apparence, que d’une apparence aisément vaincue mais qui ne cède point, qui au contraire s’affirme et, mieux, se développe en majesté. L’homme d’esprit sourit naturellement en même temps qu’il fait sourire ; mais le comique ne rit point, mettant toute son attention, ou son mouvement et toutes ses forces à tenir debout son décor et ses personnages. Toutefois ces improvisations du génie comique sont rares, et il faut bien de la simplicité chez le spectateur pour les saisir comme il faut, sans ces préparations, ces traditions et ces artifices connus dont le théâtre comique dispose par la bonne volonté du spectateur. Ainsi l’on aperçoit déjà qu’il doit y avoir plus d’une précaution et plus d’une convention dans l’art de faire rire, et que le naturel et l’abandon de celui qui rit sans regret sont bien loin de supposer le naturel et l’abandon de celui qui fait rire ; non pas, mais au contraire l’art le plus composé, le plus étudié, le plus hardi, le plus prudent, le plus mesuré et rusé qui soit. C’est pourquoi les grands comiques sont rares ; mais aussi leur puissance ne s’use point.