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DE LA DÉCLAMATION ET DU MOUVEMENT

sion seulement. On pourrait dire que les gestes de l’acteur, comme aussi les changements de sa voix, représentent toujours des mouvements de ce grand corps aux mille têtes. Un brusque changement n’y est point possible ; il faut que tous soient préparés et orientés. Un effet vif, sans avertissement, sans progression, ne produira qu’un tumulte informe. Et le bruit inévitable, le retard des uns, l’inquiétude des autres qui craignent de ne plus entendre, l’attention de tous dispersée un moment sur tous, l’inquiétude aussi de l’acteur sur qui tous ces bruits reviennent, tout cela conduit à une panique d’un moment, à laquelle, par une réaction inévitable, doit succéder un rire contagieux. Il faut donc que le passage d’une attitude à une autre se fasse avec précaution, et sans surprise pour personne. À quoi concourt cette déclamation presque chantée, cette monotonie du rythme, que les grands acteurs se gardent toujours de rompre ou de dissimuler, enfin ces gestes annoncés par l’attitude et développés lentement, sans aucun tumulte du corps.

La loi des mouvements, qui ne sont que des gestes plus explicites, se trouve déterminée par là, mais aussi par d’autres causes, dont la principale est que les actions violentes, comme de frapper ou de saisir à la gorge ou de terrasser, sont impossibles à bien voir. Il faut donc absolument renoncer à imiter ici la nature, et c’est à quoi l’on arrive toujours. Mais il serait bon que, par toutes les raisons présentées ici, j’entends dans tout cet ouvrage, on y renonce d’abord et sans regrets. Cela conduit à laisser hors de la scène presque toutes les actions, ou bien à composer les actions violentes selon la tradition des mimes, et à la manière des danses. L’expérience des hommes du métier conduit toujours là, surtout quand il s’agit de régler les mouvements de la foule. Mais il faudrait, plus hardiment encore, suivre dans la tragédie les traditions de l’Opéra et même du ballet, et exprimer la colère, la menace, l’accablement, le respect d’une foule par des mouvements aussi strictement réglés