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CHAPITRE V

DU DRAME MUSICAL

Il est clair d’après ce qui vient d’être expliqué que la musique ne va pas sans difficultés avec la tragédie. Cela se voit même dans les œuvres qui touchent au drame vulgaire, interrompu par des danses ou par des morceaux de concert. Mais il faut considérer les causes. La musique, d’abord, cède trop aisément au mouvement des passions dès qu’elle est condamnée à le suivre ; ainsi, bien loin d’en modérer l’expression, comme fait la poésie, au contraire elle l’exagère souvent jusqu’au ridicule. C’est que la musique, alors, ne remplit point son office. Selon la vertu propre de la musique, le drame humain d’instant en instant se noue et se dénoue ; elle exprime donc plutôt l’épreuve de la volonté devant la nécessité extérieure, que le fatalisme inhérent aux passions tragiques. Aussi la musique n’est-elle tragédienne qu’en subordonnant sa loi propre aux déclamations de l’âme prophétique ; c’est pourquoi la tragédie et la musique se nuisent l’une à l’autre. On pourrait appeler musique esclave, ou bien musique flatteuse, ce genre de musique si commun qui marque par ses intonations et par son mouvement toutes les inflexions d’un corps dominé par l’amour, l’espérance, l’ambition, la peur. La vraie musique, comme chacun peut voir en considérant les