Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/170

Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE IV

DE LA POÈSIE DRAMATIQUE

La tragédie purifie les passions en ce qu’elle les sépare du spectateur, de façon qu’il en contemple les effets sous l’idée d’une nécessité irrévocable. Mais la poésie y a son rôle aussi, qui est de mesurer l’expression de la plainte, de la menace et de la révolte, comme aussi de rendre sensible le cours du temps, élément principal du tragique. La tragédie classique, par ses vers d’allure épique, figure bien ce progrès des passions et des actions que rien n’arrête, mais que l’impatience non plus ne précipite pas. Ainsi marche le destin, entraînant toutes choses ensemble, celles qu’on voit et celles qu’on ne voit pas, toujours selon l’ordre et la mesure, et en contraste avec les passions qui sont prises dans ce tissu solide et s’y agitent sans le rompre. Par cette loi rythmée, tous sont en attente, et c’est aussi attente de soi-même. Quand cette poésie est tranquille et pleine, cela fait comme de beaux silences et comme un cérémonial du malheur.

C’est pourquoi l’élégiaque et le contemplatif ne sont pas non plus déplacés au théâtre. Et les poètes tragiques les plus sévères arrivent naturellement à la strophe, surtout lorsqu’il apparaît que le destin extérieur suffira pour accomplir les passions. C’est