Page:Alain - Système des Beaux-Arts.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
SYSTÈME DES BEAUX-ARTS

Si l’on réfléchissait à ceci, que la pensée solitaire ne prend forme que dans l’expression commune, on comprendrait mieux la vertu des signes, dont aucune pensée n’est jamais séparable, et, par là, qu’une pensée qui n’est pas commune n’est en aucun sens une pensée. De quoi témoignent ces antiques manières de dire, qui sont danse, mimique, musique, où il est assez clair que l’expression et l’assentiment ne font qu’un. Et ces fortes écritures, qui sont temples, statues, dessins, ont gardé cette puissance de convertir sans preuves, en terminant les divagations, comme faisait la harpe de David pour le roi fou. Modèles pour le langage écrit, qui n’est pas encore pleinement objet. Il fallait donc ramener le langage articulé aux conditions qui font qu’une œuvre est universelle et durable. Et l’on peut remarquer que les éclairs de beauté de la vraie prose offrent une vérité sans preuves, au sens où la belle musique est sans preuves et la Vénus de Milo sans preuves. Mais ces beautés aussi sont des exhortations plutôt que des modèles ; c’est ainsi que l’inimitable seul instruit.

Ce qui va suivre est sur ce chemin, et orienté par là ; mais intermédiaire, puisqu’il détermine des espèces, et non des individus ; et son moyen n’est qu’analogue à la beauté quoi qu’il y tende, car la fin ici poursuivie est de faire apercevoir ce grand objet en son unité systématique, non point logique mais réelle, par la force des oppositions et des caractères singuliers de chaque espèce d’œuvre. La critique ne peut faire plus, et je t’avertis, lecteur, que cet essai fait encore bien moins. Si donc un génie muet te pousse, prends plutôt la plume ou le pinceau. Mais si ton génie bavarde, alors lis.