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CHAPITRE III

DES CHANTS POPULAIRES

Le chant naturel se rencontre presque partout dans la musique populaire et ne se trouve guère ailleurs ; ce chant se suffit à lui-même ; il est plein et soutenu sans le secours de l’harmonie ; on ne voit même pas ce que l’harmonie y pourrait ajouter ; nulle musique n’a autant de corps ni autant de force ; aussi résiste-t-elle au temps. Le goût s’est gâté presque partout dans les campagnes par l’invasion des sots refrains ; mais les chants populaires y sont restés ce qu’ils étaient ; semblables aux formes vivantes, ils ne peuvent que garder leur forme ou périr.

Aussi l’école du chant devrait se borner à ces antiques modèles ; le chanteur ne peut alors s’égarer, ni se troubler ; ainsi, porté dans sa jeunesse par la belle musique, il pourrait ensuite porter l’autre ; enfin cette musique résonne en elle-même et se renforce d’elle-même, invitant le chanteur à se livrer, à oser ; et, en même temps, par la disposition du corps qui est ici commandée, toutes les passions sont déliées. Aussi faut-il dire que cette musique est du genre contemplatif toujours. Cela est sensible dans les complaintes et les récits ; la musique contraste toujours avec ce que la chanson dit ; mais elle contraste toujours comme il faut, opposant à la misère humaine une