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DES GENRES D’ÉLOQUENCE

conduire sa pensée au-dessus des problèmes les plus émouvants ; ainsi on comprend pourquoi le croyant, qui est si facile sur les preuves, veut pourtant des preuves. À dire vrai l’argumentation est elle-même proprement oratoire et les divisions aussi ; non point tant contre l’adversaire que contre les mouvements désordonnés du cœur, les sanglots et les convulsions. On pourrait presque dire que la marche du raisonnement remplace ici le rythme poétique ; les sophistes, dans Platon, font bien voir cette parenté, à première vue scandaleuse, entre le raisonnement et les symétries et assonances ; et les comparaisons si naturelles dans ce genre d’éloquence, jouent à peu près le même rôle, par ces développements réglés selon la chose, et qui nous préparent à régler aussi nos tremblantes pensées. On voit assez d’après cela ce qu’il faut entendre par le style poétique. Il y a une manière de construire et de conduire les phrases, même dans la prose écrite, qui met le corps en jeu et qui alourdit l’assentiment. La vraie prose se défie toujours de ces mouvements prophétiques, qui usurpent sur le jugement, et elle y remédie par des cadences rompues et des traits imprévisibles, comme nous verrons.