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AVANT-PROPOS

l’esthétique, il ne s’en offre point d’autre, car ici le choix est tout fait, et inébranlable, et ce qu’on voudrait prouver, à savoir que l’œuvre est belle, est affirmé sans aucun doute par l’œuvre même. Si l’on voulait définir le beau, il le faudrait définir par ces jugements immédiats, assurés, irrévocables, j’entends par ce choix que la réflexion éclaire après qu’il est fait sans jamais le troubler ou changer. C’est ce que cherche toujours tout homme qui va pensant ; mais, quelque désir que l’on en ait, le vrai ne se ramène jamais tout à fait au beau. Aussi le beau est-il comme une récompense, autrement dit le seul fait de l’esprit peut-être. Ayant donc trouvé dans ma nature, comme je suppose qu’il arrive à beaucoup, des jugements de goût sans doute étroits, mais tout à fait immuables, de façon que quelques objets, romans, musiques, édifices, statues, dessins, obtenaient toujours, après tant de rencontres, la même approbation pleine, alors que tant d’autres, pourtant vantés, n’obtenaient rien du tout qui y ressemblât, j’ai enfin formé l’idée de travailler sur ce terrain peu étendu mais solide ; d’autant que cette redoutable facilité à expliquer tout, dont il faut toujours se défier, se trouvait par là ramenée à des problèmes fortement circonscrits. Et c’est ici le seul cas où l’observation puisse être libre et sans précaution aucune ; car on sait assez que l’observateur des objets de nature, comme mouvements célestes ou chute d’un corps, divague aussitôt s’il n’est préparé ascétiquement. Pour tout dire, le beau a ce privilège d’exister. Et, quand il n’y aurait, pour former ce monde robuste, qu’un objet dans chaque genre, un bel édifice, un beau meuble, une belle musique, un beau poème, un beau dessin, une belle statue, un beau portrait, il n’en faut pas plus pour qu’on puisse exposer, par les relations universelles qu’ils supposent, ces jugements sans appel. De la même manière il ne faut que quelques propositions des plus simples pour fonder la Logique ; mais comme là l’objet manque, le premier penseur qui y fit attention eut bientôt dénombré ces