CHAPITRE IX
DE L’IMAGINATION
n définissant l’imagination comme une perception fausse, on met l’accent sur ce qui importe peut-être le plus. Car on serait tenté de considérer l’imagination comme un jeu intérieur, et de la pensée avec elle-même, jeu libre et sans objet réel. Ainsi on laisserait échapper ce qui importe le plus, à savoir le rapport de l’imagination aux états et aux mouvements de notre corps. Le pouvoir d’imaginer doit être considéré dans la perception d’abord, lorsque, d’après des données nettement saisies, nous nous risquons à deviner beaucoup. Et il est assez clair que la perception ne se distingue alors de l’imagination que par une liaison de toutes nos expériences, et une vérification à chaque instant de toutes nos anticipations. Mais dans la perception la plus rigoureuse, l’imagination circule toujours ; à chaque instant elle se montre et elle est éliminée, par une enquête prompte, par un petit changement de l’observateur, par un jugement ferme enfin. Le prix de ce jugement ferme qui exorcise apparaît surtout dans le jeu des passions, par exemple la nuit, quand la peur nous guette. Et même dans le grand jour les dieux courent d’arbre en arbre. Cela se comprend bien ; nous sommes si lestes à juger, et sur de si faibles indices, que notre perception vraie est une lutte continuelle contre des erreurs voltigeantes. On voit qu’il ne faut pas chercher bien loin la source de nos rêveries.
Mais il arrive souvent aussi que ce sont les organes de nos sens qui par eux-mêmes fournissent matière à nos inventions. Par eux-mêmes, entendons-le bien ; notre corps ne cesse jamais d’être modifié de mille manières par les causes extérieures ; mais il faut bien remarquer aussi