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LIVRE SEPTIÈME
DES CÉRÉMONIES

CHAPITRE PREMIER

DE LA SOLIDARITÉ


Il n’y a rien de plus facile que de vivre avec des étrangers. La différence des langues y ajoute encore ; car on ne sait dire que des politesses. Mais aussi les vraies amitiés ne se nouent point là. On a souvent remarqué qu’une certaine espèce de haine n’est pas si loin de l’amitié ; il me semble naturel tout au moins qu’une amitié forte commence par une certaine défiance et résistance. On s’étonne quelquefois qu’il y ait si peu de choix dans les amours, et même dans les amitiés ; mais il faut mieux voir ; il faut la contrainte pour les faire naître ; car qui donc serait choisi ? Rien ne rend aussi sot que de vouloir plaire ; et rien ne rend injuste comme l’attention qui s’exerce sur de nouveaux amis. La contrainte naturelle qui vous force à vivre ici et non là, qui vous a fait naître en cette ville et vous a enfermé dans ce petit collège,