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XXIX

DE LA DESTINÉE

« La Destinée, disait Voltaire, nous mène et se moque de nous. » Ce mot m’étonne de cet homme-là qui fut si bien lui-même. Le destin extérieur agit par des moyens violents ; il est clair que la pierre ou l’obus écrasera un Descartes aussi bien. Ces forces peuvent nous effacer tous de la terre en un moment. Mais l’événement, qui tue si aisément un homme, n’arrive pas à le changer. J’admire comme les individus vont à leur fin, et comme ils font occasion de tout ; comme un chien, de la poule qu’il mange, fait de la viande de chien et de la graisse de chien, ainsi l’individu digère l’événement. Cette constance à vouloir, qui est propre aux natures fortes, finit toujours par trouver passage, dans le changement de toutes choses, où il y a de tout. Le propre de l’homme fort est de marquer toutes choses de son sceau. Mais cette force est plus commune qu’on ne croit. Tout est vêtement pour l’homme, et les plis suivent la forme et le geste. Une table, un bureau, une chambre, une maison sont promptement rangés ou dérangés selon la main. Les affaires suivent, grandes ou petites ; et nous disons qu’elles