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PROPOS SUR LE BONHEUR

« J’en ai trop, dit-il ; et j’ai trop peu d’ouvriers. Comment atteindront-ils les hautes branches ? Il faudrait des émondeurs. Je n’en connais que deux dans le pays. »

« Deux, lui dis-je, c’est déjà quelque chose. Ils s’occuperont des hautes branches. D’autres, moins habiles, se serviront d’échelles. Et si vous ne sauvez pas tous vos arbres, vous en sauverez du moins deux ou trois. »

« Le courage me manque, dit-il enfin. Je sais ce que je ferai. Je m’en irai pendant quelque temps, pour ne pas voir cette invasion de chenilles. »

« Ô puissance de l’imagination, lui répondis-je. Vous voilà en déroute avant d’avoir combattu. Ne regardez pas au delà de vos mains. On n’agirait jamais, si l’on considérait le poids immense des choses et la faiblesse de l’homme. C’est pourquoi il faut agir et penser son action. Voyez ce maçon ; il tourne tranquillement sa manivelle ; c’est à peine si la grosse pierre remue. Pourtant la maison sera achevée, et des enfants gambaderont dans les escaliers. J’ai admiré une fois un ouvrier qui s’installait avec son vilebrequin, pour percer une muraille d’acier qui avait bien quinze centimètres d’épaisseur. Il tournait son outil en sifflant ; les fins copeaux d’acier tombaient comme une neige. L’audace de cet homme me saisit. Il y a dix ans de cela. Soyez sûr qu’il a percé ce trou-là et bien d’autres. Les chenilles elles-mêmes vous font la leçon. Qu’est-ce qu’une chenille auprès d’un ormeau ? Mais tous ces menus coups de dent dévoreront une forêt. Il faut avoir foi dans les petits efforts et lutter en insecte contre l’insecte. Mille causes travaillent pour vous.