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HERCULE

dure saison. J’admire ceci, que ceux qui cherchent excuse hors d’eux ne sont jamais contents, au lieu que ceux qui vont droit à leur propre faute et disent : « Je fus bien sot » se trouvent forts et joyeux de cette expérience qu’ils ont digérée.

Il y a deux expériences, l’une qui alourdit et l’autre qui allège. Comme il y a le chasseur gai et le chasseur triste. Le chasseur triste manque le lièvre et dit : « Voilà bien ma chance », et bientôt : « Ces choses-là n’arrivent qu’à moi. » Le chasseur gai admire la ruse du lièvre ; car il sait bien qu’il n’est pas dans la vocation du lièvre de courir à la casserole. Les proverbes sont pleins de cette virile sagesse et il y a bien de la profondeur dans ce que ma grand’mère disait des alouettes, qui ne tombent point toutes rôties. Comme on fait son lit on se couche. « Comme je voudrais aimer la musique », dit le sot ; mais il faut faire la musique ; elle n’est point.

Tout est contre nous ; mais disons mieux, tout est indifférent et sans égards ; la face de la terre est broussaille et pestilence sans l’œuvre d’homme ; non point ennemie, mais non point favorable. Il n’y a que l’œuvre d’homme qui soit pour l’homme. Mais c’est l’espoir qui fait la crainte ; c’est pourquoi c’est un très mauvais commencement si l’on réussit par hasard ; et qui bénit les dieux bientôt les maudira. Comme ces mariés qui aiment le maire de l’arrondissement et le suisse de l’église ; ils n’ont pas vu de quel air le bedeau éteint les cierges. J’ai remarqué un jour le sourire d’une marchande de parfumerie ; elle le ferma tout net comme elle fermait sa porte ; et c’est un beau spectacle aussi