autre, l’effet sera autre. Et nous détruisons ce fantôme d’un avenir inévitable par le raisonnement suivant : supposons que je connaisse que je serai écrasé par tel mur tel jour à telle heure ; cette connaissance fera justement manquer la prédiction. C’est ainsi que nous vivons ; à chaque instant nous échappons à un malheur parce que nous le prévoyons ; ainsi ce que nous prévoyons, et très raisonnablement, n’arrive pas. Cette automobile m’écrasera si je reste au milieu de la route ; mais je n’y reste pas.
D’où vient alors cette croyance à la destinée ? De deux sources principalement. D’abord la peur nous jette souvent dans le malheur que nous attendons. Si l’on m’a prédit que je serai écrasé par une automobile, et si l’idée m’en vient au mauvais moment, c’est assez pour que je n’agisse pas comme il faudrait ; car l’idée qui m’est utile à ce moment-là, c’est l’idée que je vais me sauver, d’où l’action suit immédiatement ; au contraire, l’idée que j’y vais rester me paralyse par le même mécanisme. C’est une espèce de vertige qui a fait la fortune des sorciers. Il faut dire aussi que nos passions et nos vices ont bien cette puissance d’aller au même but par tous chemins. On peut prédire à un joueur qu’il jouera, à un avare qu’il entassera, à un ambitieux qu’il briguera. Même sans sorcier nous nous jetons une espèce de sort à nous-mêmes, disant : « Je suis ainsi ; je n’y peux rien. » C’est encore un vertige, et qui fait aussi réussir les prédictions. Si l’on connaissait bien le changement continuel autour de nous, la variété et la floraison continuelle des petites causes, ce serait assez pour ne pas se faire un destin.