de l’homme, il me semble, c’est d’avoir rejeté au sommeil toutes les espèces de demi-sommeil. Un signe de la belle santé, c’est de ne pouvoir tenir dans la rêverie, et de passer tout de suite au sommeil. Et se réveiller, c’est rejeter le sommeil ; au lieu que l’âme prophétique s’éveille à demi et refait ses songes.
On peut vivre ainsi ; rien n’empêche. Nous sommes admirablement faits pour pressentir ; si l’on tient compte de cette fabrique du corps vivant, on comprend que les plus petits signes entrent en nous et s’y gravent. Un certain son du vent annonce de loin la tempête ; et certes il est bon d’être attentif aux signes ; mais il ne faut pourtant pas sursauter aux moindres changements. J’ai vu un baromètre enregistreur de très grande taille, et tellement sensible qu’un chariot au voisinage, ou seulement le pas d’un homme faisait bondir l’aiguille. Ainsi serions-nous, si nous nous laissions faire ; et à mesure que le soleil tourne, notre humeur changerait ; mais le roi de la planète ne donne pas audience à toutes ces choses.
Un homme timide, dans une société, veut tout entendre, tout recueillir, tout interpréter. Et pour lui la conversation est aussi sotte et incohérente que si tous disaient tout ce qui leur vient. Mais le sage taille les signes et les discours, comme un bon jardinier. Encore mieux dans le monde ; car toutes choses nous toucheraient et nous arrêteraient ; l’horizon serait sur nos yeux comme un mur ; mais nous renvoyons les choses à leur place ; toute pensée est un massacre d’impressions.
Défrichement. J’ai connu une femme sensible qui souffrait de voir couper un tronc ou une branche.