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XXIII

L’ÂME PROPHÉTIQUE

Un philosophe assez obscur a voulu nommer âme prophétique un certain état de passivité attentive, si l’on peut dire, où nos pensées cèdent à toutes les forces du monde comme des feuilles de peuplier. C’est l’âme aux écoutes. Étalée, offerte aux coups en quelque sorte. État d’effarement. Je comprends la Sibylle, son trépied, ses convulsions. Attention à tout, c’est-à-dire peur de tout. Je plains ceux qui ne savent pas annuler tout ce bruit et ce mouvement du grand univers.

Quelquefois l’artiste voudrait retomber à cet état de donner audience à tout, à toutes couleurs, à tous sons, à toute chaleur, à tout froid ; il s’étonne alors que le paysan ou le marin, si profondément plongés dans les choses naturelles et si dépendants par état, ne remarquent point toutes ces nuances. Il y a un beau mouvement d’épaules qui se décharge de ces choses ; c’est le geste royal. Le Saint Christophe a traversé l’eau sans compter les vagues. « On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit » ; on n’agirait point non plus.

Il faut déblayer, simplifier, supprimer. Le propre