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XXI

DES CARACTÈRES

Chacun a de l’humeur selon le vent et selon l’estomac. L’un donne un coup de pied dans la porte, l’autre frappe l’air par des paroles qui n’ont pas plus de sens que les coups de pied. La grandeur d’âme laisse tomber ces incidents dans l’oubli ; qu’elle les subisse des autres ou de soi, elle les pardonne parfaitement parce qu’elle n’y pense jamais. Mais ce qui est commun, c’est de consacrer l’humeur et en quelque sorte d’en jurer ; c’est ainsi que l’on se fait un caractère ; et de ce qu’on a pris de l’humeur un jour contre quelqu’un, on vient à l’aimer moins. Pardonner à soi en ce sens-là, c’est plus rare qu’il ne faudrait ; et c’est souvent la première condition si l’on veut pardonner aux autres. Au contraire, un genre de remords sans mesure est souvent ce qui grossit la faute de l’autre. Ainsi, chacun promène son humeur pensée, disant : « Je suis ainsi. » C’est toujours dire plus qu’on ne sait.

Il arrive que l’on supporte mal les parfums ; cette humeur contre les bouquets et l’eau de Cologne n’est point constante. Mais chercher et flairer le moindre parfum et jurer qu’on en fera migraine,