Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XIX

L’ART DE BÂILLER

Un chien qui bâille au coin du feu, cela avertit les chasseurs de renvoyer les soucis au lendemain. Cette force de vie qui s’étire sans façon et contre toute cérémonie est belle à voir et irrésistible en son exemple ; il faut que toute la compagnie s’étire et bâille, ce qui est le prélude d’aller dormir ; non que bâiller soit le signe de la fatigue ; mais plutôt c’est le congé donné à l’esprit d’attention et de dispute, par cette profonde aération du sac viscéral. La nature annonce par cette énergique réforme qu’elle se contente de vivre et qu’elle est lasse de penser.

Tout le monde peut remarquer qu’attention et surprise coupent, comme on dit, respiration. La physiologie enlève là-dessus toute espèce de doute, en faisant voir comment les puissants muscles de la défense s’accrochent au thorax, et ne peuvent que le resserrer et paralyser dès qu’ils se mobilisent. Et il est remarquable que le mouvement des bras en l’air, signe de capitulation, est aussi le plus utile à délivrer le thorax ; mais c’est aussi la position de choix pour bâiller énergiquement. Comprenons d’après cela comment n’importe quel souci nous serre