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XV

SUR LA MORT

La mort d’un homme d’État est une occasion de méditer ; et l’on voit partout des théologiens d’un instant. Chacun fait retour sur soi et sur la commune condition ; mais cette pensée elle-même n’a point d’objet ; nous ne pouvons nous penser nous-mêmes que vivants. D’où une impatience. Devant cette menace abstraite et tout à fait informe, nous ne savons que faire. Descartes disait que l’irrésolution est le plus grand des maux. Eh bien, nous y voilà jetés, et sans aucun remède. Ceux qui vont se pendre sont mieux placés ; ils choisissent le clou et la corde ; tout dépend d’eux jusqu’au dernier saut. Et, comme le goutteux est occupé à bien placer sa jambe, ainsi chaque état, si mauvais qu’il soit, veut quelque soin réel et quelque essai. Mais l’état d’un homme bien portant qui pense à la mort est presque ridicule, par ce risque indéterminé. Cette courte agitation tout à fait sans règle, et qui serait bientôt sans mesure, c’est la passion toute nue. Le jeu de cartes, faute de mieux, offre heureusement à l’actif penseur des problèmes bien définis, des partis à prendre, et des échéances prochaines.