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ARGAN

De très petites causes peuvent gâter une belle journée, par exemple un soulier qui blesse. Rien ne peut plaire alors, et le jugement en est hébété. Le remède est simple ; tout ce malheur s’enlève comme un vêtement. Nous le savons bien ; et ces malheurs sont rendus légers, même dans le présent, par la connaissance des causes. Le nourrisson qui sent la pointe d’une épingle hurle comme s’il était malade au plus profond ; c’est qu’il n’a pas idée de la cause ni du remède. Et quelquefois même il se fait mal à force de crier, et n’en crie que plus fort. Voilà ce que l’on doit nommer un mal imaginaire ; car les maux imaginaires sont aussi réels que les autres ; ils sont seulement imaginaires en ceci que nous les entretenons par nos propres mouvements, en même temps que nous en accusons les choses extérieures. Il n’y a pas que les nourrissons qui s’irritent de crier.

On dit souvent que la mauvaise humeur est une maladie et qu’on n’y peut rien. C’est pourquoi je rappelle d’abord des exemples de souffrance et d’irritation qu’un mouvement très simple peut aussi-