IX
MAUX D’ESPRIT
L’imagination est pire qu’un bourreau chinois ; elle dose la peur ; elle nous la fait goûter en gourmets. Une catastrophe réelle ne frappe pas deux fois au même point ; le coup écrase la victime ; l’instant d’avant elle était comme nous sommes quand nous ne pensons point à la catastrophe. Un promeneur est atteint par une automobile, lancé à vingt mètres et tué net. Le drame est fini ; il n’a point commencé ; il n’a point duré ; c’est par réflexion que naît la durée.
Aussi, moi qui pense à l’accident, j’en juge très mal. J’en juge comme un homme qui, toujours sur le point d’être écrasé, ne le serait jamais. J’imagine cette auto qui arrive ; dans le fait, je me sauverais si je percevais une telle chose ; mais je ne me sauve pas, parce que je me mets à la place de celui qui a été écrasé. Je me donne comme une vue cinématographique de mon propre écrasement, mais une vue ralentie, et même arrêtée de temps en temps ; et je recommence ; je meurs mille fois et tout vivant. Pascal disait que la maladie est insupportable pour